L’inégalité au sein des OGM

Suite au très mauvais documentaire présenté par la RTS lors d’un précédant Temps Présent sur des OGM dans nos assiettes,  de grè ou de force », je souhaite réagir en donnant un éclairage éducatif sur les organismes génétiquement modifiés. Le but n’est ni de répondre aux fausses informations de ce documentaires, ni de juger si les modifications génétiques sont bonnes ou mauvaises. Cette publication est une traduction d’un article paru sur The Conversation. Bonne lecture.

Ce sont leurs caractéristiques, pas leur méthode de production, qui comptent !

Champ de maïs, OGM ou pas ? Katie Harbath, CC BY-NC-SA

Beaucoup de gens ont une opinion ferme sur les plantes génétiquement modifiées mais ce terme induit parfois la confusion sur son véritable sens. Il serait plus logique de juger une plante par ses caractéristiques spécifiques plutôt que par la manière dont elle a été produite, qu’elle soit génétiquement modifiée ou pas.

Il existe des organismes hors du règne végétal dont le génome a été modifié, mais, sous l’appellation organismes génétiquement modifiés (OGM), cet article se réfère ici uniquement aux plantes. Son objectif n’est pas de juger si les OGM sont bons ou mauvais, mais au contraire d’expliquer comment les plantes avec un génome modifié sont créées. Il faut, de plus, définir ce qui se cache derrière ce terme : nous faisons référence ici à toutes les plantes dont le génome a été modifié par l’activité humaine.

L’humanité a changé le génome de pratiquement toutes les plantes cultivées.

Si l’on considère les OGM comme l’ensemble des plantes dont le génome a été modifié par les humains, alors une vaste majorité des fruits, légumes et céréales vendus en épicerie tombent sous le coup de cette définition. Toutefois, beaucoup de ces modifications ne sont pas apparues en laboratoire. En effet, dans une évolution agricole, les agriculteurs ont sélectionné soigneusement les plantes avec des caractéristiques supérieures afin de les cultiver et de les domestiquer. L’agriculture, par les milliers d’années de croisements traditionnels, a ainsi influencé l’expression du génome des plantes depuis leurs ancêtres sauvages originels.

image-20150408-18057-56zb3wLe chou commun ne ressemble en rien à son cousin domestiqué, le brocoli. Nicholas Turland, CC BY-NC-ND

Le brocoli, par exemple, n’est pas issu d’une évolution naturelle. Tout comme le chou-fleur, il a été sélectionné par l’homme à partir de la plante sauvage Brassica oleracea ou « chou commun ». Cette domestication est également à l’origine des variétés de fruits sans pépins (y compris ce que vous pensez être une banane) et de la majorité des céréales cultivées aujourd’hui qui n’existeraient pas sans l’intervention humaine.

Ce ne sont pourtant pas ces plantes qui viennent à l’esprit des gens lorsque l’on parle des OGM. Il est facile d’imaginer et de comprendre comment les agriculteurs peuvent cultiver de meilleures plantes en sélectionnant simplement les semences des plantes donnant les meilleurs rendements ou ayant les meilleures caractéristiques. Ils peuvent aussi imposer des croisements artificiels entre des variétés végétales différentes. L’activité agricole change ainsi le génome des plantes dans des expressions et variétés que la nature n’aurait jamais produites, pourtant les gens ne les considèrent pas comme des OGM.

La création d’OGM en laboratoire

image-20150408-18086-ja40u2Des scientifiques s’entraînant à des techniques de sélection basées sur des marqueurs. ICRISAT/CT. Hash, CC BY-NC

Après une étude suffisamment poussée des gènes d’une plante, ceux liés à des caractéristiques souhaitées, telles que la productivité ou la résistance à des insectes nuisibles, peuvent être identifiés et observés par des méthodes de biologie moléculaire et la cartographie des liaisons génétiques peut être déterminée. Ces cartes montrent la position relative des gènes dans les chromosomes, basée sur le nombre de transmissions d’un individu à sa descendance. Les gènes liés tendent à être transmis ensemble. Les chercheurs ont ainsi essayé de faire des rétrocroisements. Cette technique implique de faire des croisements de plantes filles avec leurs parents pour obtenir une nouvelle souche stable avec les caractéristiques désirées.

Les scientifiques utilisent des marqueurs moléculaires – séquences spécifiques et connues de gènes existant dans les cartes de liaisons génétiques – pour sélectionner les plantes qui contiennent le nouveau gène marqueur et la plus grande proportion de gènes favorables provenant de leurs parents. La composition des gènes transmis à la descendance étant simplement due à une combinaison aléatoire des gènes parentaux,  les chercheurs ne sont pas en mesure de forcer des combinaisons particulières de gènes. Ils doivent utiliser ce qui se produit naturellement;  ainsi cette approche de sélection par marqueur génétique nécessite beaucoup d’efforts et de temps afin d’essayer d’obtenir des plantes présentant les meilleures combinaisons de gènes.

Pour utiliser cette technique, le laboratoire utilise des outils de biologie moléculaire pour rechercher les séquences de gènes portant les caractéristiques désirées dans le génome des individus issus des croisements. Il arrive parfois que pour limiter les ressources nécessaires et accélérer le processus, les laboratoires utilisent des croissances de tissus cellulaires – une méthode permettant de faire croître plus de plantes en parallèle.

L’insertion d’un nouveau gène dans un OGM

L’ère de la biotechnologie agronomique débute dans les années 1980 avec Agrobacterium tumefaciens. Cette bactérie infecte naturellement les plantes et y produit, dans la nature, des tumeurs en transférant son ADN dans la plante infectée. Les scientifiques ont ainsi utilisé cette propriété naturelle de A. tumefaciens pour introduire dans une plante l’ADN modifié de cette bactérie contenant un gène souhaité.

image-20150408-18075-1gialxmAgrobacterium tumefaciens en train d’infecter une cellule de carotte. A G Matthysse, K V Holmes, R H G Gurlitz

Pour la première fois, il est ainsi possible d’introduire un gène spécifique dans le génome d’une plante, même avec des gènes qui ne font pas partie de la même espèce de plante – ni même du règne végétal. A. tumefaciens n’infectant pas toutes les plantes, les chercheurs ont développé diverses techniques imitant cette bactérie pour transférer de l’ADN sans son aide. Par exemple, il existe la micro-injection et les « canons à gènes », où l’ADN sélectionné est injecté physiquement dans la plante ou encore, fixé sur des microparticules injectables directement dans le noyau des cellules des plantes.

Huit méthodes différentes pour l’injection de gènes dans une plantes sont présentées dans une revue récente. Ces techniques de biologie moléculaire utilisent diverses enzymes ou acides nucléiques (ADN ou ARN) pour introduire des changements dans les gènes d’une plante. Une méthode consiste à modifier la séquence d’ADN de la plante. Une autre ne fait pas appel à la mutation de l’ADN, mais introduit des modifications épigénétiques, c’est à dire des changements dans l’activité des gènes dus à des facteurs externes et transmis au fil des générations. Par exemple, les scientifiques peuvent ajouter des groupements méthyles (une molécule organique) à certains blocs de l’ADN. Ces modifications n’altèrent pas la séquence de l’ADN, mais permettent d’inhiber ou de favoriser l’expression d’un gène existant préalablement déterminé.

Tous les OGM ne sont pas résistants au glyphosate

Une plante génétiquement modifiée est simplement une plante dont le génome a été modifié par l’activité humaine. Pourtant de nombreuses personnes confondent cette idée de plantes OGM avec les plantes créées pour résister au glyphosate, un herbicide plus connu sous son nom commercial de Roundup. Il est vrai que les céréales OGM les plus connues contiennent un gène spécifique les rendant résistantes au glyphosate. Cela permet aux agriculteurs d’utiliser cet herbicide pour éliminer les herbes nuisibles tout en faisant pousser les céréales. Ce n’est toutefois qu’un exemple de l’insertion d’un gène dans une plante.

Il est sensé d’évaluer les OGM non pas sur leur méthode de production, mais plutôt sur leurs nouvelles caractéristiques. On peut, en effet, débattre de l’intérêt de la résistance au glyphosate qui a induit une utilisation croissante de cet herbicide alors que les autres OGM ne vont pas causer le même problème.

image-20150408-18089-zab3i7Du riz doré (à droite) comparé au riz blanc. International Rice Research Institute, CC BY

Ainsi, il est difficile d’imaginer pourquoi le riz doré, modifié pour être plus nutritif et contenir une plus grande concentration de vitamine A, pourrait nuire à l’environnement. Les OGM ont aussi été développés pour que les plantes produisent elles-mêmes des pesticides utilisés et agréés par l’agriculture biologique : par exemple une toxine naturellement produite par la bactérie Bacillus thuringiensis (ou Bt, d’où le terme de Maïs Bt). Cependant, même si ces OGM peuvent réduire l’utilisation de pesticides, ils peuvent également favoriser le développement d’insectes Bt-résistants. D’autres OGM ont été développés pour améliorer leur capacité de conservation ou leur aspect nutritionnel. Par exemple, la tomate « Flavr Savr » résistante au pourrissement, les ananas contenant du lycopène ou des tomates avec des anthocyanes. Ces deux composants sont présents naturellement dans d’autres fruits et sont considérés comme ayant des effets bénéfiques pour la santé.

image-20150409-15244-12bc0dbLa peur des croisements OGM entre règnes. elizaIO, CC BY-SA

La fameuse « tomate-poisson » contient une protéine antigel (issue du gène afa3) qui est présente naturellement dans la plie rouge et qui augmente la résistance au gel des plants de tomates. La tomate n’est pas composée de tissus de poisson, ni même d’ADN de ce poisson, mais seulement d’une séquence d’ADN identique à celle présente dans le génome de la plie rouge. La protéine  antigel afa3 est produite par le gène du même nom dans les cellules de tomates grâce aux mêmes mécanismes biologiques que ceux synthétisant les autres protéines constituant la tomate.

Y a-t-il anguille sous roche ? La question de savoir si l’introduction d’un bout d’ADN d’un organisme dans un autre est susceptible de modifier l’espèce concernée est un débat philosophique intéressant. Si un seul gène de poisson suffit à la tomate-poisson pour ne plus être une plante, sommes-nous humains, nous qui portons des centaines de gènes non-humains, vraiment humains ?

Auteur: Dr. Elizabeth Bent, Collaboratrice de recherche à l’Université de Guelph

Déclaration de publication: Elizabeth Bent a reçu un financement de la part du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Ontario (Ministry of Agriculture and Food) et du Conseil de recherche en sciences naturelles du Canada (Natural Sciences and Engineering Research Council). Elle est consultante dans sa propre entreprise, Renaissance Biological Solutions, Inc. Elle est biologiste moléculaire et microbiologiste et ne travaille pas pour ou avec des organismes génétiquement modifiés, ni n’entretient des relations avec des entreprises ou groupes promouvant l’utilisation de plantes modifiées génétiquement.

Traduction : Dr. François Bianco, Physicien sceptique passionné de sciences et de technologies

Déclaration de publication: François Bianco n’a aucun intérêt financier dans les technologies agricoles ou biotechnologiques et n’a reçu aucune rétribution pour le travail de traduction.

Relecteurs : Dr. Noé Curtz, physicien, Dr Cécile Monard, microbiologiste

Source: https://theconversation.com/not-all-gmo-plants-are-created-equally-its-the-trait-not-the-method-thats-important-39532

L’article peut être republié et réutilisé sous licence CC-BY-SA-ND, version exportable depuis Google Drive.

 

Si vous aviez malheureusement regardé le documentaire, voilà des pistes pour analyser ses sources d’informations :