L’Inca à l’oreille cassée

Le Pérou — le pays des Incas — sera l’ultime destination en Amérique Latine de mon voyage. Il n’y a à premières vues pas de différences flagrantes avec la Bolivie, sauf les prix un peu plus consolidés par une économie légèrement plus forte et des infrastructures plus développées.

Je débarque de la fête bolivienne du Gran Poder en plein Corpus Christi — la Fête Dieu — à Cusco. Je déguste donc plusieurs jours supplémentaires de parades catholiques. Les fervents croyants défilent au travers de la ville en portant avec grande peine des statues de plusieurs tonnes sur leur épaules. La fête est si importante que l’on dirait que personne ne travaille ici et pourtant les festivités durent quasiment tout le mois de juin. Bien assis sur la terrasse d’un café plongeant sur la Place d’Armes, je profite du spectacle rapidement abrutissant tant il se répète. Quelques jours plus tard, au lieu des lourds fétiches religieux, c’est l’Inca qui défile en ville. Enfin c’est un comédien payé pour amuser les riches touristes venant assister à l’Inti Raimy — la fête Inca du Soleil — reconstituée sur le site de Sacsayhuamán artistiquement et non scientifiquement, puisque l’on en sait pas grand chose. Le Soleil était fêté par les populations locales le jour du solstice d’hiver marquant la fin des récoltes et probablement la fin de l’année Inca. On le célébrait pour s’assurer son retour et permettre une bonne moisson. Lors de l’arrivée des espagnoles la fête a été déplacée au 24 juin et incorporée subtilement aux festivités catholiques pour absorber la culture locale et ne pas interférer avec la Fête Dieu.

cusco-swCusco — l’ancienne capitale Inca – dont les murs de certains bâtiments sont toujours constitués de pierres taillées par les Quechuas sous le règne de l’Inca, est à proximité de la Vallée Sacrée et de multiples sites archéologiques tout aussi incroyables les uns que les autres. Le Sacsayhuamán juste au dessus de la ville présente une technologie de construction de la fin de l’empire Inca. Les pierres de plusieurs dizaines de tonnes sont parfaitement ajustées les unes aux autres. Les murs sont inclinés de manière à mieux résister aux éventuels tremblements de terre. Je reste toujours autant admiratif devant les terrasses circulaires de Moray qui constituaient le laboratoire agronomique des Incas. Celui-ci leur a permis de tester, acclimater et améliorer les différentes variétés de céréales, pommes-de-terres et maïs à presque 3’500 mètres d’altitude. Il est impressionnant de réaliser que leurs plantes ont été, ensuite, diffusées dans le monde entier et constituent une des bases de l’alimentation humaine.

machupicchuÀ quelques heures de Cusco, une des rares villes inca ayant échappée aux conquistadors : Machu Picchu – littéralement, le rocher antique; toutefois attention à ne pas confondre Machu Pichu (Matchou Pitchou) et la version avec deux « c » (piktchou) au risque de dire le pénis antique… Ces ruines qui abritaient environ milles personnes sont un chef-d’œuvre d’ingénierie et de savoir-faire : construite à cheval sur une colline, impossible de voir celle-ci depuis le fond de la vallée si on ignore sa présence. Les chemins Inca y menant passaient par les montagnes, dans des falaises à faire rougir les constructeurs de bisses valaisans tant les parois sont abruptes. J’aurais la chance d’observer le lever du Soleil le jour du solstice d’hiver au-dessus du Temple du Soleil Inca; même si je n’ai pas vu de « phénomènes » archéo-astronomique (comme l’alignement d’ombre, la position du Soleil par rapport à une fenêtre…) ça sera un souvenir probablement indélébile. Malgré l’affluence touristique et la marchandisation du site, les ruines de Machu Picchu sont une merveille. La chance a aussi été avec moi, puisque j’ai pu resté sur le site toute la journée alors que depuis début juillet les entrées ne sont plus que d’une demi-journée pour permettre à plus de gens d’entrer sur le site.

Au détour de conversation avec les locaux, j’en apprends plus sur le train que j’avais boycotté pour son prix abusif (à quasiment 25 fois le prix du sillon (prix/km) suisse pour le billet le moins cher). Aucune compagnie n’appartient aux péruviens, les chiliens et les français se sont accaparés le marché juteux de la seul liaison possible au pieds des ruines. Le règlement est strict : les locaux ne peuvent voyager que à des heures précises dans leurs wagons de troisième classe, impossible pour un gringo de voyager avec eux, même pour les couples bi-nationaux ! On se croirait presque à l’aparteid. Le Pueblo Machupicchu en fond de vallée est une horreur du tourisme de masse : pizzerias, restaurants au service bas de gamme et aux prix abusifs… à retourner les momies Inca dans leur fardeau !

Je descends finalement l’Altiplaneau pour me rendre en région côtière, tout d’abord à Nasca. Les lignes de Nasca que les amateurs de croyances farfelues attribuent aux aliens (ou peut-être grâce à la domestication des dinosaures ? hum hum…), sont simplement tracées sur le sol plat et désertique et ne nécessitent que quelques concepts de base de géométrie et de la ficelle. Celles-ci représentent diverses figures symboliques et sont dessinées en enlevant les pierres du sol pour en  exposer le sable nu. Ces représentation ont probablement été utilisées comme lieu de rituels par les Nascas. Leurs cérémonies étaient sûrement complétées par la prise d’un extrait du cactus San Pedros contenant de la mescaline un alcaloïde hautement hallucinogène avec des effets proches du LSD qu’il est toujours tout à fait possible de consommer à l’aide de quelques chamans locaux. Ces lignes malheureusement souffrent actuellement de l’influence climatique du courant de l’enfant Jésus —  le fameux El Niño. Si elles ont survécues presque deux milles ans, c’est par la sécheresse extrême du lieu : il y pleut environ deux heures par année habituellement ! Les précipitations induites par le réchauffement des eaux côtières lessivent progressivement les lignes, dont les plus importantes sont de nos jours entretenues et retracées par les archéologues. Les Nascas ne se sont pas seulement amusés dans le désert, ils ont construits d’ingénieux aqueducs plusieurs mètres sous-terre combinés à des prises d’air en spirale pour faciliter le drainage des cours d’eau phréatiques. On notera malheureusement de nouveau, que le tourisme amène les abuseurs en tout genre vendant les billets d’avion à des prix surfaits au travers d’agences non-autorisées par le gouvernement…

cuyJe termine mon périple à Lima, où à l’entrée de la ville les fortes inégalités de revenus frappent. Les maisons de pailles font tranquillement place aux bâtiments modernes de plusieurs étages. Je me dirige en plus jusqu’à la côte dans le quartier de Miraflores qui pourrait facilement être transporté sur la côte étasunienne tant la richesse de ses habitants transparaît. Ce sera aussi mon retour aux supers-marchés et boutiques de luxes. Les prix ont grimpés par deux ou trois en moyennes (hors de lieux huppés bien entendu). Je profite encore de tester les plats typiques péruviens qui manquaient à mon registre : le ceviche – une salade de poisson cru — et le réputé cuy – du cochon d’Inde cuit à la broche ou frit. J’ai aussi utilisé mon retour au niveau de la mer pour confirmer l’efficacité de mon entraînement d’altitude. Après deux jours, je change de quartier pour aller vers le centre historique à deux pas des bâtiments gouvernementaux, où la vie plus traditionnelle a encore lieu. Derniers marchés locaux, derniers plats locaux, derniers bus locaux… il est temps pour moi de prendre le chemin du retour.

J’écris le premier jet de mon texte tranquillement assis alors que les autres passagers trépignent en attendant devant la porte d’embarquement. Le contraste de mes sentiments actuels par rapport à ceux de mon départ voilà exactement dix mois est étrange : une sorte d’euphorie me prend par moment lorsque je pense aux retrouvailles, surtout puisque ce sera une surprise pour tout le monde.

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3 réponses sur « L’Inca à l’oreille cassée »

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